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La fin de l’imprimé

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Une rapide réaction à la suite du billet «  Changer nos façons de travailler  » publié par Virginie Clayssen sur son blog teXtes. Je crois que le fond de la question n’est pas tellement celle du rapport à la technique, de la bonne distance à adopter pour un éditeur par exemple dans son rapport à la technique, qu’à sa capacité à gérer la transition d’un paradigme à l’autre. Parce qu’en réalité, le travail d’un éditeur est déjà très technique, dans sa manière de prendre en charge la préparation, la commercialisation, la circulation du livre imprimé. Le passage n’est donc pas d’un travail non technique à un travail technique, mais plutôt le passage d’un ensemble de compétences techniques exigées pour la réalisation du livre imprimé à un ensemble de compétences techniques demandées pour la réalisation de livres numériques. Du coup, je réagis à ce « on a des livres à faire ! » évoqué par Virginie, qui dit que le livre numérique vient s’ajouter au livre imprimé. C’est du travail en plus, et donc qui passe après le travail normal que l’on fait tous les jours. Cette position me semble difficile à tenir, pour la simple raison que nous assistons à la disparition du paradigme dans lequel ce travail normal est effectué. Nous assistons à rien moins que la fin de l’imprimé.

Entendons-nous : lorsque j’évoque la fin de l’imprimé, c’est exactement de la même manière que JL Missika évoque la fin de la télévision, c’est-à-dire, pas la fin des écrans de télévision, mais la fin du paradigme télévisuel tel qu’on l’a vu se développer dans la seconde moitié du XXe siècle avec ses usages, son modéle économique, et surtout la manière dont la télévision formate les créations culturelles. De la même manière, lorsque je dis « fin de l’imprimé », je n’évoque pas la fin de l’impression comme technique — comme les écrans de télévision, les documents imprimés se multiplient au contraire — mais la fin du livre imprimé, de la revue imprimée et du journal imprimé comme paradigmes culturels et intellectuels. Il est vrai que ce n’est pas dans le livre qu’on le voir le plus clairement. Je préfère évoquer pour l’instant la presse où l’évolution est beaucoup plus flagrante : l’apparition des pure players, le surgissement de sources totalement nouvelles comme Wikileaks, le développement du « journalisme de données » dont on parle tant sont en train de faire exploser le paradigme du journal imprimé : c’est-à-dire en particulier que l’imprimé impose de moins en moins ses contraintes propres au travail et à l’écriture journalistiques, et que ce sont au contraire les nouveaux supports numériques qui imposent aujourd’hui leurs contraintes à ce travail. L’article publié dans Owni sur l’émergence de ces profils hybrides de journalistes-programmeurs est tout à fait significatif il me semble (et il n’épuise pas tous les nouveaux profils qui surgissent d’ailleurs : le journaliste-community manager en est un autre).

Dans le secteur des revues, de sciences humaines en particulier, puisque je le connais mieux, il me semble qu’on commence à voir un frémissement, en particulier dans la manière dont les sources du travail de recherche sont convoquées. L’insertion de documents annexes, de documents multimédias, le renvoi vers des bases de données sont des éléments qui vont changer progressivement l’écriture scientifique elle-même. C’est d’ailleurs passionnant de voir comment certaines revues exclusivement numériques s’éloignent progressivement du paradigme original et se mettant à publier des documents, ou des textes très courts, ou des listes, bref, tout un ensemble de productions, d’écrits qu’on ne trouve pas dans les revues imprimées. C’est d’ailleurs aussi au niveau des rythmes de publication et de l’organisation documentaire de la revue elle-même que les choses se mettent à changer progressivement.  Il y aura donc toujours des revues imprimées bien sûr, mais je pense que ce seront de plus en plus des versions dérivées et secondaires de la version numérique qui portera de nouvelles manières d’écrire et de rendre compte de la recherche ou de la réflexion.

Dans le secteur du livre, c’est plus lent et moins évident. Virginie est justement une bonne observatrice de toutes les expérimentations qui foisonnent ici et là et elle en rend compte sur son blog. Je pense qu’on aurait tort de considérer ces expérimentations comme simplement marginales, parce qu’elles préfigurent des évolutions à venir. Dans certains secteurs d’ailleurs (livre pratique, guide de voyage, encyclopédies), elles sont déjà présentes. Je ne cesse de dire que Wikipédia, avec toute son ingénierie sociale et éditoriale en particulier, est pour moi un livre. C’est même sans doute le premier véritable exemple abouti de livre du paradigme numérique, et on voit bien qu’il a peu à voir, dans son mode de fonctionnement, dans sa réalisation, son modèle économique, ses usages et même son mode d’écriture, avec le paradigme du livre imprimé. Ce qui n’empêche pas qu’il en existe des version imprimées bien sûr. C’est ce que dit aussi, mais d’une autre manière, Bibliomancienne avec son billet sur la Bibliothèque du Congrès que je trouve très stimulant.

Alors voilà l’enjeu sans doute  pour un éditeur : comment passer d’un paradigme à l’autre. C’est-à-dire, comment, dans ses compétences, savoir abandonner progressivement (et l’adverbe est important) un certain nombre de celles qu’il possède aujourd’hui, parce qu’elles ne sont plus stratégiques,  pour dégager le temps d’en acquérir de nouvelles qui, elles, sont en train de le devenir. Comment identifier les tâches qui peuvent être externalisées, pour avoir la possibilité d’en prendre en charge, en interne, de nouvelles, sur lesquelles se concentreront demain l’essentiel de la valeur ajoutée d’un éditeur ? C’est là-dessus, que j’aimerais qu’on avance dans la réflexion. J’ai essayé de mon côté, d’explorer cette évolution dans «  le livre et les trois dimensions du cyberespace  ». Cet article n’a pas rencontré beaucoup d’écho. Je sais pour en avoir discuté avec certain éditeur de mes amis, qu’il dessine pour lui, un avenir à la fois improbable et détestable de son métier. Mais bon, je suis persuadé que c’est exactement à ce niveau que se situe le noeud du problème.


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